Mireille Philip, Juste parmi les Nations

Mireille Philip, Juste parmi les Nations

Née le 10 novembre 1901, Mireille COTTARD est élevée par son beau-­père le Pasteur Jérémie COORMAN engagé toute sa vie dans le christianisme social et l’œcuménisme.
À 21 ans élève boursière de l’École normale Protestante Mireille devient institutrice, nommée en Alsace dans une école publique (1922–1924). Elle entame ensuite une licence de philosophie, études au cours desquelles elle rencontre André Philip, alors étudiant brillant puisqu’il deviendra à 24 ans agrégé en droit. Il intègrera après 2 thèses et à 28 ans l’université de Lyon.

De 1936 à 1940, la vie de Mireille est indissociable de celle de son époux qui mène une carrière très active : André, militant chrétien, socialiste et penseur est engagé dans de multiples mouvements protestants du « Christianisme social” et le socialisme. Pacifiste dans les années de montée des fascismes en Europe, il est objecteur de conscience et excellent orateur. Lancé en politique il devient Député du Rhône du Front populaire autour de Léon Blum (1936-­42), et rapporteur de la loi des 40 heures de travail hebdomadaire.
En 1939 il a la fonction d’agent de liaison avec le corps d’armée britannique.
En Juin 1940, André fait partie des 80 députés qui refusent de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Il décrit cette décision plus tard : ” j’ai voté contre pour porter un témoignage .., parce que je ne pouvais pas faire autrement”…
Pendant ce temps entre 1925 et 1932, Mireille a mis au monde 5 enfants et suit intensément les activités de son époux.

La survenue de la Seconde Guerre mondiale bouleverse les choses. Au moment de la défaite, les Philip s’installent au Chambon­-sur-­Lignon (Haute­Loire). Leur père ne voulant pas qu’ils aient à chanter le « Maréchal, nous
voilà » à l’école publique, les enfants bénéficieront des cours d’un précepteur, un objecteur de conscience défendu par André en 1930. A l’automne 1941, les Philip louent un appartement au-­dessus de la famille du pasteur Édouard THEIS. Alors qu’il a repris ses cours à Lyon le régime suspend André PHILIP pour « incompatibilité avec ses fonctions de parlementaire ».
En août 1941, sur décision d’André et malgré l’hostilité de Mireille, les cinq enfants sont envoyés aux Etats­-Unis via Lisbonne (Portugal), compte tenu du danger de la position d’André qui dès 1942 fait l’objet d’un avis de recherche par la police de Vichy. Il part alors à Londres.
En 1942, sans mari, ni enfants présents, Mireille devient Madeleine PASQUIER et entre dans la Résistance guidée par la maxime de Étienne
PASQUIER, philosophe proche du protestantisme du XVIe siècle : « Avoir peur, mais aller de l’avant ».

Beaucoup de réfugiés dont de très nombreux juifs transitent ou sont cachés au Chambon. Dès juin 1940, les pasteurs André TROCME et Édouard THEIS sollicitent les paroissiens du Chambon sur Lignon : « Le devoir des chrétiens est d’opposer à la violence exercée sur leur conscience, les armes de l’esprit. Seul l’individu chrétien peut offrir une résistance à l’état pur, une résistance sans compromis, une résistance dépouillée de toute considération tactique une résistance au nom des principes de l’Évangile. Il arrive même que la résistance du chrétien embarrasse et complique la résistance de son Église parce qu’elle a un caractère intempestif et radical, qui risque de compromettre les délicates négociations auxquelles les chefs responsables d’un groupe ne peuvent se dérober ».
Mireille s’engage dans le sauvetage des juifs en danger, dans le sillage du Pasteur TROCME qui initie et organise l’accueil pour sauver ceux qui sont dénommés discrètement les « Anciens Testaments » et cachés dans les divers bâtiments autour du Chambon : maisons, fermes, Collège Cévenol ..
L’organisation prévoit la distribution de faux papiers de fausses cartes d’alimentation. Certains de ces documents acheminés par l’intermédiaire de Mireille PHILIP proviennent de Londres, ou d’Alger ayant été transmis par André PHILIP. Pour valider ces documents, les tampons « officiels » réalisés sur place sont cachés par Mireille dans son panier à ouvrage, servant de bobines à fil…

Si cette période est relativement bien documentée historiquement, pour des raisons de sécurité, il n’a été rédigé aucune archive et on ne sait que de façon très approximative le nombre de personnes sauvées ; on ne connait pas le nombre de transferts réussis ou non, ni précisément les trajets. De plus Mireille PHILIP ne s’est exprimée que très rarement sur le sujet, ne voulant pas parler de ses actions dont on sait qu’elles étaient héroïques…

Mireille Philip et le sauvetage des juifs

Mireille n’a que très rarement témoigné ou même parlé de son passé de résistante. Cependant une fois elle a accepté un interview et a parlé de ce réseau œcuménique catholique et protestant, séculier et régulier, représenté par une majorité d’hommes et une femme : « Mon travail à ce moment a consisté à cacher des juifs en Haute-Savoie avant de les faire passer en Suisse. Il fallait attendre l’accord des autorités [suisses]. Ceux avec qui j’ai beaucoup collaboré l’abbé Rosay à Douvaine, l’Abbé Folliet à Annecy qui donnait rendez-­vous à la messe à 6h du matin. On abritait les femmes au couvent de Chavanod…, les hommes à la Trappe de Tamié où après une discussion un peu vive avec le père Abbé, j’avais pu obtenir de cacher bien des garçons…… Le presbytère de l’Abbé Rosay m’a abritée plusieurs fois, même la nuit avec des garçons, en grand danger… Ces deux prêtres sont hélas, l’un mort fusillé, l’autre en déportation, ainsi que deux de leur « JOCIstes » [Membres des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes]. … Ce qui domine en moi, est un sentiment d’humilité et de reconnaissance devant
beaucoup de ces réfugiés devenus des amis, que ce soit à Rivesaltes, ou en Haute­-Savoie, ils m’ont souvent donné l’exemple d’une dignité, d’un courage, que les circonstances m’ont particulièrement impressionnée. Il
leur était alors si facile de sombrer dans le découragement, la peur et l’égoïsme. …

Pour les uns leur foi, pour les autres, leurs simples qualités humaines étaient à la base de cette attitude… Finalement c’est nous qui en les aidant, avons le plus reçu d’eux…. Il était tellement plus facile d’être à notre place qu’à la leur, une place que nous nous avions choisie et qui, à mon avis était normale et privilégiée. » Publié dans Les clandestins de Dieu (entretien avec Suzanne Chevalley) Comment était organisée la Filière d’évasion vers la Suisse ?

Témoignage de A Gadoffre, (les Clandestins de Dieu) :
« Elle revenait de Genève, où elle était allée déguisée en cheminot. Le mécanicien était de mèche avec l’équipe, ralentissait entre Annemasse et Genève. On hissait alors Mireille et le train avait repris son allure normale pour arriver ensuite avec son « passager clandestin » caché dans le tender (zone du stock de charbon) . En gare de Genève, comme si elle était des leurs, elle avait suivi les chauffeurs jusqu’aux lavabos, pour se nettoyer et se changer, .. Sortir de la gare n’était alors plus un problème… »

À la suite d’une vraisemblable dénonciation, elle est agressée par un homme dans une montée d’escaliers et laissée pour morte. En grand danger, elle poursuit ses actions en transportant argent et papiers en lien avec la
CIMADE, à destination des familles de déportés, du maquis, entre la Suisse, la Savoie et la Drôme. Cette partie de sa vie est mystérieuse, il n’y a jusque-­là que peu de traces.

La fin de la guerre lui permet de retrouver sa famille .. ses deux fils ainés ayant participé aux débarquements l’un de Normandie, ils avaient presque 19 ans et 18 ans .. Et la vie reprend .. Pour Madame André PHILIP… devient
épouse de ministre, obtient le droit de vote en 1945, .. les années passant elle devient une grand­-mère bien tranquille partageant sa vie entre Saint­-Cloud, et les lieux de villégiature de Haute-­Savoie et du Var, et ayant une vraie peur des voyages en avion…
Cependant, elle garde son esprit de combattante et lors de la guerre d’Algérie, soutient le militantisme de Francis Janson, alors un des fameux porteurs de valise du FLN qui est l’époux de sa fille Christiane ….
Après cette vie d’épouse de l’ombre, puis veuve durant 21 ans, le jour de ses 90 ans en novembre 1991, elle raconte, on enregistre … et le soir tombant, Mireille perd connaissance et décède quelques jours plus tard entourée de quelques­-uns des siens à BRON (Rhône) le 13 novembre 1991.
Le 30 Novembre 1976, l’Etat d’Israël lui décerne la médaille de Juste parmi les Nations.

Conférence de Thierry Philip

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